8

Ce jeudi matin 23 juin, il régnait dans le commissariat d’Ystad une atmosphère très éloignée de l’ambiance de fête de la Saint-Jean. Wallander avait été réveillé dès trois heures du matin par un journaliste de Dagens Nyheter qui avait appris le scoop, la mort de Gustaf Wetterstedt, par la police d’Östermalm. Quand Wallander avait fini par se rendormir, c’était l’Expressen qui avait téléphoné. Hansson avait lui aussi été réveillé pendant la nuit. Quand ils se retrouvèrent pour la réunion dans la salle de conférences, un peu après sept heures, ils étaient tous pâles et fatigués. Nyberg était venu lui aussi, bien qu’il eût travaillé jusqu’à cinq heures du matin pour passer au crible la maison de Wetterstedt. Au moment d’entrer dans la salle, Hansson avait pris Wallander à part et lui avait demandé de prendre en charge la réunion.

— Björk devait savoir que ça arriverait, dit Hansson. C’est pour ça qu’il a démissionné.

— Il n’a pas démissionné, dit Wallander. Il a été muté. En plus, c’était lui le moins bien placé pour prévoir l’avenir. Il avait bien assez de soucis avec ce qui se passait tous les jours autour de lui.

Wallander savait que la responsabilité de l’organisation de l’enquête sur le meurtre de Wetterstedt lui retomberait dessus. Leur première grosse difficulté : en été, ils étaient en sous-effectif à cause des congés. Il pensa avec reconnaissance qu’Ann-Britt Höglund était prête à reporter ses vacances. Mais qu’allaient devenir les siennes ? Il avait prévu de partir pour Skagen dans deux semaines, avec Baiba.

Il s’assit à la table de la salle de réunion et regarda les visages fatigués qui l’entouraient. Il pleuvait toujours. Devant lui, il avait posé un tas de messages téléphoniques récupérés à l’accueil. Il poussa le tas sur le côté et frappa quelques petits coups sur la table avec un stylo.

— Commençons, dit-il. Le pire est arrivé. Nous nous retrouvons avec un meurtre sur les bras, en plein été. Nous devons nous organiser le mieux possible. Dans les jours qui viennent, nous avons en plus un week-end de la Saint-Jean qui va mobiliser les gardiens de la paix. Et en général, pendant ce week-end, il y a toujours un incident du ressort de la criminelle. Il va falloir organiser les recherches en gardant ça en tête.

Personne ne dit rien. Wallander se tourna vers Nyberg et lui demanda comment se passaient les recherches du point de vue technique.

— Si seulement la pluie voulait bien s’arrêter quelques heures, dit Nyberg. Pour trouver le lieu de l’assassinat, il faut creuser dans toute la couche superficielle de sable de la plage. C’est impossible tant que ça n’est pas sec. Si c’est mouillé, on n’aura que des blocs de sable.

— J’ai téléphoné à la météo de Sturup il y a un petit moment, dit Martinsson. Ils prévoient que la pluie va s’arrêter ici, à Ystad, après huit heures. Mais le vent va forcir dans l’après-midi. Et du coup il y aura encore de la pluie. Ensuite, ça va s’arranger.

— C’est toujours ça, dit Wallander. En général, c’est plus tranquille pour nous quand il ne fait pas beau le week-end de la Saint-Jean.

— Cette fois-ci, je pense que le football va nous aider, dit Nyberg. Les gens ne boiront pas moins. Mais ils resteront devant leurs téléviseurs.

— Qu’est-ce qui va se passer si la Suède perd contre la Russie ? demanda Wallander.

— La Suède ne perdra pas, répondit Nyberg, d’un ton décidé. Nous allons gagner.

Wallander se dit que Nyberg devait suivre les matches.

— J’espère que tu as raison, répondit-il.

— Sinon, nous n’avons rien trouvé d’intéressant autour du bateau, poursuivit Nyberg. Nous avons aussi examiné le bout de plage entre le jardin de Wetterstedt, la barque et l’eau. Nous avons ramassé quelques objets. Mais rien de bien intéressant. Sauf peut-être un truc.

Nyberg prit un des sacs plastique et le posa sur la table.

— Un des policiers qui a mis les barrières a trouvé ça. C’est une bombe anti-agression. On conseille aux femmes d’avoir ce genre d’aérosols dans leur sac pour se défendre en cas d’agression.

— Ces bombes ne sont pas interdites chez nous ? demanda Ann-Britt Höglund.

— Si, dit Nyberg. Mais pourtant on l’a bel et bien trouvée là. Dans le sable, juste derrière les barrières. Nous allons y rechercher des empreintes digitales. Peut-être que ça donnera quelque chose.

Nyberg rangea le sac plastique.

— Est-ce qu’un homme seul peut retourner ce bateau ? demanda Wallander.

— Il faut vraiment qu’il soit très fort.

— Ça veut dire qu’ils étaient deux.

— L’assassin peut aussi avoir dégagé le sable à côté de la barque, dit Nyberg, en hésitant. Et l’avoir remis après avoir poussé Wetterstedt sous le bateau.

— C’est une possibilité, bien sûr, dit Wallander. Mais est-ce que ça semble plausible ?

Personne ne fit de commentaire.

— Rien n’indique que le meurtre a été commis à l’intérieur de la maison, poursuivit Nyberg. Nous n’avons pas trouvé de traces de sang ou de lutte. Personne ne s’est introduit dans la maison par effraction non plus. Je ne peux pas affirmer que rien n’a été volé. Mais ça n’en a pas l’air.

— Sinon, as-tu trouvé quelque chose qui semble digne d’intérêt ? demanda Wallander.

— Je trouve que toute la maison est digne d’intérêt, dit Nyberg. Wetterstedt devait avoir beaucoup d’argent.

Ils réfléchirent en silence. Wallander sentit qu’il était temps de faire un résumé.

— Ce qu’il nous faut avant tout, c’est l’heure à laquelle Wetterstedt a été tué, commença-t-il. Le médecin qui a examiné le cadavre semble penser qu’il a été abattu sur la plage. Il a trouvé des grains de sable dans ses yeux et dans sa bouche. Mais il va falloir attendre le rapport des médecins légistes. Comme nous n’avons aucune piste à suivre, et que nous n’avons pas non plus de mobile évident, il va falloir ratisser large. Essayer d’en savoir plus sur la personnalité de Wetterstedt. Quels étaient les gens qu’il fréquentait ? Quelles étaient ses habitudes ? Il va falloir se faire une idée de son caractère, essayer d’en savoir plus sur sa vie. Nous ne pouvons pas non plus ignorer qu’il y a vingt ans c’était un homme très célèbre. Il était ministre de la Justice. Il était très apprécié par certains, d’autres le haïssaient. Il y a toujours eu des rumeurs de scandales autour de lui. Y aurait-il quelque part l’idée de vengeance ? Il a été abattu et on lui a arraché le cuir chevelu. Il a été scalpé. S’est-il passé quelque chose de semblable auparavant ? Pouvons-nous trouver des similitudes avec des meurtres antérieurs ? Martinsson va devoir faire travailler ses ordinateurs. Wetterstedt avait une femme de ménage, il va falloir lui parler dès aujourd’hui.

— Son parti politique, dit Ann-Britt.

Wallander hocha la tête.

— J’allais justement y venir. Avait-il encore des responsabilités politiques ? Fréquentait-il d’anciens camarades de parti ? Ça aussi, il va falloir le tirer au clair. Y a-t-il quelque chose dans son passé qui puisse suggérer un mobile possible ?

— Depuis que la nouvelle est parue dans les journaux, deux hommes ont déjà téléphoné pour reconnaître le meurtre, dit Svedberg. Le premier a appelé d’une cabine téléphonique de Malmö. Il était tellement saoul qu’on avait beaucoup de mal à comprendre ce qu’il disait. Nous avons demandé aux collègues de Malmö de l’interroger. Le second appelait de la prison d’Österåker. Sa dernière permission remonte au mois de février. Quoi qu’il en soit, il semble évident que Gustaf Wetterstedt est loin de laisser les gens indifférents.

— Nous qui avons été dans le coup suffisamment longtemps, nous savons que c’est vrai aussi pour les policiers, dit Wallander. Du temps où il était ministre de la Justice, il s’est passé beaucoup de choses qu’aucun d’entre nous n’a oubliées. De tous les ministres de la Justice et chefs de la police qui se sont succédé, c’est sans conteste Wetterstedt qui nous a le moins défendus.

Ils firent le tour de toutes les tâches qui les attendaient et se les répartirent. Wallander irait lui-même interroger la femme de ménage de Wetterstedt. Ils convinrent également de se réunir une nouvelle fois à quatre heures de l’après-midi.

— Il y a encore deux choses, dit Wallander. La première : nous allons être envahis par les journalistes et les photographes. C’est le genre d’affaires dont les médias raffolent. Nous allons nous trouver devant des titres de journaux du genre l’assassin scalpeur ou le crime au scalp. Donc autant faire une conférence de presse dès aujourd’hui. J’aimerais m’en dispenser.

— Mais ce n’est pas possible ! dit Svedberg. Il faut que tu prennes la responsabilité de l’affaire. Même si tu ne veux pas, c’est toi qui fais ça le mieux ici.

— Bon, mais je ne serai pas tout seul, dit Wallander. Je veux que Hansson vienne avec moi. Et Ann-Britt. Disons, à treize heures ?

Ils allaient tous se lever quand Wallander leur demanda d’attendre encore un peu.

— D’autre part, nous ne pouvons pas laisser tomber l’enquête sur la fille qui s’est suicidée par le feu dans le champ de colza, dit-il.

— Tu veux dire qu’il y a un rapport ? demanda Hansson, étonné.

— Bien sûr que non, répondit Wallander. Ce que je veux dire, c’est qu’il faut quand même essayer de trouver qui elle est.

— La recherche par ordinateur n’a rien donné, dit Martinsson. Ni les combinaisons de lettres. Mais je te promets de continuer.

— Il doit bien y avoir quelqu’un à qui elle manque, dit Wallander. Une jeune fille. Je trouve ça étrange.

— C’est l’été, dit Svedberg. Beaucoup de jeunes sont en vadrouille. Il peut se passer une ou deux semaines avant qu’on se demande où elle est passée.

— Bien sûr, tu as raison, reconnut Wallander. Prenons notre mal en patience.

Ils levèrent la réunion à huit heures moins le quart. Wallander l’avait dirigée à un rythme accéléré, car ils avaient tous beaucoup de travail. De retour dans son bureau, il jeta un coup d’œil sur tous ses messages téléphoniques. Rien ne semblait urgent. Il sortit un cahier d’un tiroir et écrivit le nom de Gustaf Wetterstedt tout en haut sur la première page.

Puis il se rejeta en arrière dans son fauteuil et ferma les yeux. Que me raconte sa mort ? Qui peut l’abattre d’un coup de hache et le scalper ?

Wallander se pencha à nouveau sur son bureau.

Il écrivit : Rien n’indique que Gustaf Wetterstedt ait été tué dans le cadre d’un cambriolage, même si on ne peut l’exclure totalement pour le moment. Ce n’est pas non plus un meurtre dû au hasard, s’il n’a pas été accompli par un fou. Qui a des raisons de vouloir se venger de Gustaf Wetterstedt en le tuant ?

Wallander reposa le stylo et lut avec un regard de plus en plus critique ce qu’il venait d’écrire.

Il est trop tôt, pensa-t-il. Je tire des conclusions impossibles. Il faut que j’en sache plus.

Il se leva et sortit. La pluie venait de cesser. La météo de l’aéroport de Sturup ne s’était pas trompée. Il se rendit à la villa de Wetterstedt.

 

Le périmètre où le meurtre avait eu lieu était toujours interdit au public. Nyberg était déjà au travail. Ses collaborateurs et lui étaient en train de replier les bâches qui recouvraient une partie de la plage. Ce matin, les spectateurs étaient nombreux derrière les barrières. Wallander ouvrit la porte avec les clés de Wetterstedt et alla directement dans son bureau. Il poursuivit de manière méthodique la recherche qu’Ann-Britt Höglund avait entamée la veille au soir. Il lui fallut une bonne demi-heure pour trouver le nom de la femme que Wetterstedt avait qualifiée de « bonniche ». Elle s’appelait Sara Björklund, elle habitait près de Styrbordsgången, juste après les grands centres commerciaux à l’entrée ouest de la ville. Il décrocha le téléphone dans le bureau et fit le numéro. Au bout de huit sonneries, on décrocha. Wallander entendit une voix enrouée masculine.

— Je voudrais parler à Sara Björklund, dit Wallander.

— Elle n’est pas là.

— Où pourrais-je la joindre ?

— Qui est à l’appareil ? demanda l’homme, d’une voix plutôt hostile.

— Kurt Wallander, de la police d’Ystad.

Il y eut un long silence à l’autre bout de la ligne.

— Vous êtes toujours là ? dit Wallander, sans chercher à dissimuler son impatience.

— Est-ce que ça a à voir avec Wetterstedt ? demanda l’homme. Sara Björklund est ma femme.

— J’ai besoin de lui parler.

— Elle est à Malmö. Elle ne reviendra pas avant cet après-midi.

— Quand pourrai-je la joindre ? À quelle heure ? Soyez précis, s’il vous plaît !

— Elle sera rentrée pour dix-sept heures.

— Alors je viens chez vous à dix-sept heures, dit Wallander en raccrochant.

Il sortit de la maison et descendit voir Nyberg. Les badauds se pressaient derrière les barrières.

— Tu as trouvé quelque chose ? demanda-t-il.

Nyberg avait un seau de sable à la main.

— Rien, dit-il. Mais s’il a été tué ici et qu’il est tombé sur le sable, il doit y avoir du sang. Peut-être pas de son dos. Mais de sa tête. Le sang a dû gicler. Il y a des grosses veines sur le front.

Wallander hocha la tête.

— Où avez-vous découvert la bombe anti-agression ? demanda-t-il.

Nyberg montra un point au-delà des barrières.

— Je doute que ça ait un rapport avec cette affaire, dit Wallander.

— Moi aussi, répondit Nyberg.

Wallander allait retourner à sa voiture quand il se rappela qu’il avait une autre question à poser à Nyberg.

— L’éclairage du portail du jardin ne marche pas, dit-il. Tu peux regarder ?

— Qu’est-ce que tu veux que je fasse ? demanda Nyberg. Que je change l’ampoule ?

— Je veux savoir pourquoi elle ne marche pas, dit Wallander. C’est tout.

Il retourna au commissariat. Le ciel était gris. Mais il ne pleuvait pas.

— Il y a sans arrêt des journalistes qui appellent, dit Ebba quand il passa devant l’accueil.

— Ils seront les bienvenus à treize heures, répondit Wallander. Où est Ann-Britt ?

— Elle est sortie il y a un moment. Elle n’a pas dit où elle allait.

— Et Hansson ?

— Je crois qu’il est chez Per Åkeson. Je dois aller le chercher ?

— Il faut préparer la conférence de presse. Arrange-toi pour qu’on apporte des chaises supplémentaires dans la salle de conférences. Il y aura beaucoup de monde.

Wallander alla dans son bureau et commença à préparer le communiqué pour la presse. Une demi-heure plus tard environ, Ann-Britt Höglund frappa à la porte.

— Je suis allée à la ferme de Salomonsson, dit-elle. Je crois que j’ai trouvé d’où cette fille sortait toute cette essence.

— Salomonsson en avait un stock dans sa grange ?

Elle hocha la tête.

— Bon. Donc ça, c’est résolu. Cela veut donc dire qu’elle peut être venue à pied jusqu’au champ de colza. Il n’est pas nécessaire qu’elle soit arrivée en vélo ou en voiture. Elle peut être venue à pied.

— Est-ce que Salomonsson pouvait la connaître ? demanda-t-elle.

Wallander réfléchit un instant avant de répondre.

— Non. Salomonsson ne mentait pas. Il ne l’avait jamais vue.

— Donc, la fille vient à pied de quelque part. Elle entre dans la grange de Salomonsson et y trouve un certain nombre de bidons d’essence. Elle en prend cinq qu’elle emporte dans le colza. Puis elle se met le feu.

— C’est quelque chose comme ça, dit Wallander. Même si nous arrivons à savoir qui elle est, nous ne saurons sans doute jamais toute la vérité.

Ils allèrent chercher du café et discutèrent de ce qu’ils allaient dire à la conférence de presse. Il était presque onze heures quand Hansson les rejoignit.

— J’ai discuté avec Per Åkeson, dit-il. Il m’a dit qu’il allait contacter le procureur général.

Wallander leva les yeux de ses papiers.

— Pourquoi ?

— Gustaf Wetterstedt a été un personnage important. Il y a dix ans, le Premier ministre a été assassiné. Et voilà que nous nous retrouvons avec un ministre de la Justice abattu. Je suppose qu’il veut savoir si l’enquête doit être menée d’une façon particulière.

— S’il était toujours ministre de la Justice, j’aurais pu comprendre, dit Wallander. Mais ce n’était plus qu’un vieux retraité qui avait quitté depuis longtemps ses fonctions officielles.

— Tu en parleras avec Åkeson, dit Hansson. Je ne fais que rapporter ce qu’il a dit.

À treize heures, ils allèrent s’asseoir sur la petite estrade au bout de la salle de conférences. Ils avaient décidé d’écourter autant que possible l’entrevue avec la presse. Le principal était de tenter d’empêcher qu’il y ait un trop grand nombre de spéculations folles et sans fondement. Ils avaient donc décidé d’être évasifs quand il s’agirait de répondre sur la manière dont Wetterstedt avait été tué. Ils ne diraient rien du scalp.

La salle de conférences était bondée. Exactement comme Wallander l’avait prévu, les grands quotidiens avaient aussitôt décidé que le meurtre de Gustaf Wetterstedt était une affaire importante. Wallander compta trois caméras de chaînes de télévision différentes.

 

Quand tout fut fini et que le dernier journaliste eut disparu, Wallander constata avec satisfaction que tout s’était remarquablement bien déroulé. Ils avaient été aussi laconiques que possible dans leurs réponses et avaient prétexté que des raisons liées à l’enquête les empêchaient de donner plus de détails. Pour finir, les journalistes avaient conclu qu’ils n’arriveraient pas à se frayer un chemin à travers le mur invisible que Wallander avait construit autour de lui et de ses collègues. Quand les journalistes quittèrent la salle, il se contenta de se laisser interviewer par la radio locale tandis qu’Ann-Britt Höglund se plaçait devant une des caméras présentes. Il la regarda faire. Pour une fois, il était heureux de ne pas être celui qu’on voyait.

Vers la fin de la conférence de presse, Per Åkeson était entré discrètement dans la salle et s’était installé tout au fond. Il se leva et attendit que Wallander sorte.

— J’ai appris que tu allais appeler le procureur général, dit Wallander. Il t’a donné des directives ?

— Il veut qu’on le tienne au courant, répondit Per Åkeson. De la même manière que tu me tiens au courant.

— Tu auras un état d’avancement de l’enquête tous les jours, dit Wallander. Et on te préviendra chaque fois qu’on découvrira un élément susceptible de nous faire progresser.

— Tu n’as rien de fondamental pour le moment ?

— Rien.

 

Le groupe des enquêteurs tint une très brève réunion à seize heures. Ils étaient tous en plein travail, et ce n’était pas le moment de faire des comptes rendus. Wallander fit donc juste un tour de table avant de demander à chacun de retourner à ses affaires. Ils décidèrent de se retrouver à huit heures le lendemain s’il ne se passait rien de particulier en ce qui concernait l’enquête.

Peu avant dix-sept heures, Wallander quitta le commissariat pour rendre visite à Sara Björklund. Styrbordsgången était un quartier où Wallander ne mettait jamais les pieds. Il gara sa voiture et entra par le portail du jardin. La porte s’ouvrit avant qu’il n’arrive à la maison. La femme qui se tenait sur le seuil était plus jeune qu’il ne l’avait imaginé. La trentaine. Pour Gustaf Wetterstedt, c’était une « bonniche ». Savait-elle comment il l’appelait ?

— Bonjour, dit Wallander. J’ai appelé ce matin. Vous êtes Sara Björklund ?

Elle l’invita à entrer. Dans la salle de séjour, elle avait préparé un plateau avec des brioches et du café dans une bouteille Thermos. Wallander entendit à l’étage au-dessus un homme en train de crier à des enfants de faire moins de bruit. Wallander s’assit sur une chaise et jeta un regard autour de lui. Comme s’il s’attendait à ce qu’un des tableaux de son père soit accroché à un des murs. C’était en fait la seule chose qui manquait, se dit-il. Il y a le pêcheur, la gitane, et l’enfant qui pleure. Il ne manque plus que les paysages de mon père. Avec ou sans grand tétras.

— Voulez-vous du café ? demanda-t-elle.

— Tutoyons-nous, dit Wallander. Oui, merci.

— Gustaf Wetterstedt, on n’avait pas le droit de le tutoyer, dit-elle brusquement. Il fallait l’appeler M. Wetterstedt. Il m’a fait tout un cours là-dessus quand j’ai commencé chez lui.

Wallander lui fut reconnaissant de pouvoir tout de suite passer aux choses importantes. Il sortit de sa poche un petit carnet et un crayon.

— Donc, tu sais que Gustaf Wetterstedt a été tué, commença-t-il.

— C’est terrible, dit-elle. Qui peut avoir fait ça ?

— Nous nous le demandons nous aussi.

— Il était vraiment sur la plage ? Sous ce bateau moche ? Qu’on voit du premier étage ?

— Oui. Mais reprenons au début. Tu faisais le ménage pour Gustaf Wetterstedt ?

— Oui.

— Depuis combien de temps travailles-tu pour lui ?

— Ça va faire trois ans. Je me suis retrouvée au chômage. Et cette maison coûte pas mal d’argent. Il a bien fallu que je me mette à faire des ménages. J’ai trouvé ce travail par une annonce dans le journal.

— Tu allais souvent chez lui ?

— Deux fois par mois. Un jeudi sur deux.

Wallander nota.

— Toujours un jeudi ?

— Toujours.

— Tu avais tes propres clés ?

— Non. Il ne me les aurait jamais données.

— Pourquoi dis-tu ça ?

— Quand j’étais chez lui, il surveillait chacun de mes mouvements. C’était très pénible. Mais d’un autre côté, il payait bien.

— Tu n’as jamais rien remarqué de spécial ?

— De quel genre ?

— Il n’y avait jamais personne d’autre chez lui ?

— Jamais.

— Il n’invitait jamais des gens à des repas ?

— Pas à ma connaissance. Quand je venais, il n’y avait jamais de vaisselle à faire.

Wallander réfléchit un instant avant de poursuivre.

— Comment le décrirais-tu en tant que personne ?

La réponse vint immédiatement, avec force et conviction.

— On pourrait dire que c’était un arrogant.

— Qu’entends-tu par là ?

— Qu’il me traitait avec mépris. Pour lui, je n’étais qu’une quelconque bonne femme qui passe la serpillière. Même si, pendant un temps, il a représenté le parti qui est censé parler en notre nom. Le parti des travailleurs.

— Sais-tu que, dans son agenda, il t’appelait la « bonniche » ?

— Ça ne m’étonne pas du tout.

— Mais tu es restée ?

— Je t’ai déjà dit qu’il payait bien.

— Essaie de te souvenir de la dernière fois où tu as fait le ménage chez lui. Hi y as été la semaine dernière ?

— Tout était exactement comme d’habitude. J’ai essayé d’y réfléchir. Mais il était exactement comme d’habitude.

— Pendant ces trois années, il ne s’est donc rien passé qui sorte de l’ordinaire ?

Il vit aussitôt qu’elle hésitait avant de répondre. Il aiguisa aussitôt son attention.

— Si, il y a eu cette fois, l’année dernière. En novembre. Je ne sais pas pourquoi, mais je m’étais trompée de jour. J’y suis allée un vendredi matin au lieu du jeudi. Et juste quand j’arrivais, j’ai vu une grosse voiture sortir du garage. Une voiture avec des vitres à travers lesquelles on ne voit rien. Ensuite, j’ai sonné à la porte comme je le faisais d’habitude. Il a mis beaucoup de temps avant de venir m’ouvrir. Quand il m’a vue, il s’est mis dans une colère incroyable. Puis il m’a claqué la porte au nez. J’ai cru qu’il allait me renvoyer. Mais quand je suis revenue la fois suivante, il n’a rien dit. Il a fait comme si de rien n’était.

Wallander attendit une suite qui ne vint pas.

— C’est tout ?

— Oui.

— Une grosse voiture noire qui est sortie de chez lui ?

— Oui.

Wallander se rendit compte qu’il n’en tirerait pas plus. Il but son café rapidement et se leva.

— S’il te revient autre chose, je te serais reconnaissant de bien vouloir m’appeler, dit-il au moment de partir.

Il retourna en ville.

Une grosse voiture noire qui venait chez lui, se dit-il. Qui était dans cette voiture ? Il faut que je trouve.

Il était dix-huit heures. Un vent fort s’était levé.

Et il s’était remis à pleuvoir.

Le guerrier solitaire
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